Hitler et les Voyants





    Parmi les nombreux spécialistes qui les conseillent sur tout et n'importe quoi, monarques et chefs d'Etat ont souvent recours à des voyants. Ils les écoutent ou pas, tombent sous leur coupe ou non. Mais, quand une prédiction leur déplaît, a fortiori lorsque celle-ci se réalise, il est fréquent que l'annonciateur soit puni pour sa clairvoyance. Comme si le fait de s'en prendre au messager suffisait à effacer la teneur du message. A ce petit jeu, Adolf Hitler fut un champion toutes catégories.



    La liste des médiums, devins, astrologues qu'il a consultés donne le tournis. Elle a été recensée par l'universitaire Jean Prieur qui, en 1935, succéda à Jean-Paul Sartre comme professeur à l'institut français de Berlin.



    Avec une naïveté égale à son machiavélisme, Hitler dès le début de son ascension politique, faisait jeter en prison ou carrément assassiner ceux qui voyaient dans leurs tarots et leurs boules de cristal des perspectives trop peu glorieuses. Au point que les médiums ne lui annonçaient plus que ce qu'il voulait entendre. Le IIIe Reich gouvernerait le monde pour plus de mille ans, et voilà. Ce qui est dit sera fait.



    Lorsque les premiers revers militaires, sur le front russe comme face aux Anglais, donnèrent tort aux extralucides de sa cour qui avaient prudemment remplacé l'intuition par la flagornerie, Hitler révisa sa position. Il ne s'agissait plus seulement de faire taire les prophètes de malheur, mais de les contraindre à modifier réellement le futur qu'ils avaient enjolivé dans l'espoir de sauver leur peau.



    Pour comprendre comment le Führer a pu en arriver à ce genre de délire, il faut savoir que, lors de sa jeunesse viennoise, il avait commencé à entendre des voix. Ces fameuses voix intérieures, issues du génie allemand et des forces telluriques dont il se croyait le dépositaire. Ces voix de l'espoir qui avaient choisi un modeste aquarelliste autrichien pour redonner au monde les couleurs de la gloire. C'est dans cette esprit que celui ce considérait, en toute simplicité, comme Jeanne d'Arc du national-socialisme tomba, de son plein gré, sous le charme et l'emprise de diverses sociétés secrètes, des plus farfelues aux plus inquiétantes, du néochristianisme aryen ( Jésus était un Gaulois venu en Galillée pour exterminer les Juifs), à la paramythologie fondée par la société de Thulé (Nos divinités nordiques sont la réincarnation des dieux de l'Ancienne Egypte ), pour finalement s'épanouir dans le satanisme à but lucratif ( La conscience est une invention judaïque : seul le crime a un sens. Pour sortir du Moyen Age de l'humanité, nous avons le droit divin d'anéantir tout ce qui dure).



    La force paranoïaque mise au service de ces croyances débiles amènera Hitler, en février 1945, à prendre une décision hautement surréaliste. Sortant de sa prison le voyant Bernd Unglaub, qui lui avait jadis prédit sa mort pour cette même année, il le somma de désactiver la prophétie. Le condamné s'exécuta, bien entendu, avec sa meilleure volonté du monde. Oui, le Führer survivrait. Oui, l'Armée rouge serait vaincue, et les forces du Reich anéantiraient les régiments anglo-américains. Oui, oui, tout s'arrangerait par miracle. Pour Hitler, dont la folie furieuse avait atteint son apogée dans le huis clos des derniers mois, la déconfiture nazie avait un unique responsable : Bernd Unglaub. Et lui seul avait le pouvoir d'annuler la catastrophe que sa prédiction funeste d'avant la guerre ( fruit d'un supposé complot de la cabale juive, naturellement ) avait programmée.



    Unglaub concentra donc sa puissance psychique afin d'infléchir le cours du destin, invoquant par des simulacres hautement ésotériques les forces du Mal pour qu'elles se ressaisissent. En échange de la liberté, il offrit ainsi à Hitler sa dernière messe brune.



    Le rituel achevé, l'espoir changea de camp. En direct de son bunker, le Führer, rasséréné, déclara triomphalement à la radio : Les voix m'ont parlé. La victoire est proche, elle viendra cette année. Mes ennemis vont disparaître.



    Deux mois plus tard, l'illuminé du bunker se suicidait, entraînant dans la mort sa chienne Blondi, sa compagne Eva Braun et la famille Goebbels. Les sociétés satanistes, elles, sachant Hitler perdu bien avant qu'il ne l'admette, s'étaient depuis longtemps repliées sur Staline. Mais ce dernier ne s'embarrassa pas du folklore des mythologies ringardes, des voix pseudo-céleste ou de la cartomancie. Plutôt que de se soumettre au ressenti aléatoire des médiums, il les transforma directement en armes de guerre.
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